Soixante ans d’indépendance de la Guinée : “la célébration de la honte”

Défiant le général de Gaulle, la Guinée de Sékou Touré avait été le premier pays d’Afrique francophone à prendre son indépendance le 2 octobre 1958. Aujourd’hui, “le bilan est loin d’être flatteur”, résume la presse locale, relayée par RFI dans sa Revue de presse Afrique.
Notre histoire est belle, mais elle est douloureuse. C’est dans ces moments de gloire et de douleur que nous devons tirer des leçons positives pour l’avenir.”
C’est la déclaration dimanche 30 septembre, du ministre d’État, secrétaire général à la Présidence de la République, Naby Youssouf Kiridi Bangoura, cité par le site Guinée 7. Ces derniers jours, à l’approche du 2 octobre, date de l’indépendance, les déclarations patriotiques se succèdent.
Les déclarations critiques également, comme celle de cette militante de la société civile guinéenne, Dorah Aboubacar Koita, qui publie une tribune sur le site Media Guinée. Une tribune intitulée “2 octobre 2018 : et si on se disait aussi les vérités qui fâchent ?”
“La quasi-inexistence d’hommes politiques fiables”
Et en effet, l’auteur ne mâche pas ses mots :
Nous ferions mieux, écrit-elle, de dédier le 2 octobre à une méditation nationale sur la décadence des valeurs en Guinée, à la quasi-inexistence d’hommes politiques fiables dans le pays dont la sagesse pourrait inspirer la jeunesse.”
Et Dorah Aboubacar Koita de s’interroger : “Peut-on célébrer le communautarisme, l’ethno-stratégie et le clanisme ? Peut-on célébrer une éducation nationale comateuse, un système de santé qui fait notre honte ? Peut-on célébrer nos tricheries dans les élections, les marchés publics, les concours et les nominations ? Peut-on célébrer le fait que l’Occident continue de nous construire des latrines et des points d’eau dans nos villages, y compris dans ceux de nos fortunés ? Célébration de la honte !”
“Le colonisateur n’a pas facilité la tâche”
“La Guinée est toujours à la recherche de ses marques”, estime en écho Le Pays au Burkina Faso. “Soixante après, le bilan est loin d’être flatteur. Et force est de constater que la Guinée n’a pas fait ce pas de géant auquel on était en droit de s’attendre, par rapport aux autres colonies françaises qui n’ont accédé, pour la plupart, que quelque deux ans plus tard, à l’indépendance.”
[Le 28 septembre 1958, les Guinéens se prononcent par référendum contre l’union avec la France et choisissent une indépendance complète et immédiate. La Guinée est la seule des colonies africaines de la France à voter pour la sortie immédiate du giron français. Le reste de l’Afrique francophone choisit l’indépendance deux ans plus tard, en 1960. Vexé, le président français de Gaulle ordonne à tous les fonctionnaires français de quitter immédiatement la Guinée, ce qui provoque de graves difficultés pour la jeune nation indépendante.]
“Fébrilité” du président Alpha Condé
“Si Sékou Touré [le premier président de la Guinée indépendante] peut avoir l’excuse d’avoir eu à travailler à la création de l’État et de la nation dans un contexte plutôt difficile, le colonisateur n’ayant rien fait pour lui faciliter la tâche, il n’en va pas de même pour ses successeurs”, estime encore Le Pays :
ces derniers se sont révélés de bien piètres dirigeants, voire des galeux politiques qui se sont parfois comportés en véritables brutes incapables de répondre aux aspirations du peuple guinéen.”
Le site guinéen Le Djély revient pour sa part longuement sur l’entretien télévisé accordé samedi 29 septembre, par le président Alpha Condé dans le cadre de l’émission Internationales, organisée et menée conjointement par RFI, Le Monde et TV5.
Il pointe notamment la “fébrilité” du chef d’État à propos de son bilan. “Il aurait bien pu s’en tenir”, affirme Le Djély, “à l’énumération des acquis de son magistère (hôtels, barrages hydroélectriques, réduction de l’inflation, etc.).”
Malheureusement, en essayant de relativiser (sinon de justifier) les problèmes (manifestations de rue, pauvreté, chômage, émigration clandestine, etc.) que rencontre aujourd’hui la Guinée par le fait que le pays les partagerait avec le reste du continent africain, il a donné l’impression qu’il n’avait pas d’arguments suffisants à opposer à ceux qui l’interrogeaient.”
Frédéric Couteau
SOURCE: COURRIER INTERNATIONAL